Lettre Zola n°14
mars 2025
François-Henri Désérable
François-Henri Désérable est né en 1987. Il a été élève au lycée La Providence, à Amiens. Comme Emmanuel Macron. Il n’est pas devenu président de la République. Contrairement à Emmanuel Macron. (Mais n’insultons pas l’avenir.) Fin novembre 2024, l’écrivain se rend à Santiago pour donner une conférence sur son homologue chilien Roberto Bolaño. Coup du hasard, le président de la République s’y trouve aussi, pour une visite diplomatique. La capitale chilienne devient le cadre d’une rencontre, discrète et absurde, aux allures de réunion de l’amicale des anciens élèves de « La Pro ».
Léna Ghar
Février 2025 - Cath
Quelque chose de la vraie vie de Masha commence avec la rencontre de sa meilleure amie Adèle, à 15 ans. Avec elle et sa famille s’ouvre une maison-refuge où l’amour circule à grande vitesse. Il fait bon potiner, rire et fumer en compagnie de Cath, la mère d’Adèle, qu’on voudrait universelle. Puis viennent les débuts de la vie d’adulte. Loin du nid, loin de Cath, les deux jeunes femmes grandissent ensemble, affrontent les mêmes déroutes quotidiennes, jouissent des mêmes conquêtes enivrantes. Jusqu’au moment où la vie frappe d’un coup. Cath est tombée malade. La résistance s’organise.
n°12
janvier 2025 - Le prix de la journée
Nadège Erika
Quand on soigne les autres, c’est toujours un peu soi qu’on tente de soigner. Nadège exerce depuis de nombreuses années comme travailleuse sociale quand, en 2013, elle passe la porte d’un centre de protection de l’enfance. Elle décrit les couettes Disney, les murs écaillés, les ballons d’anniversaire, les entretiens d’embauche un peu lunaires ; les grands défis, les joies et les devoirs de celles et ceux qui consacrent leur vie à élever dignement d’autres enfants que les leurs. Et puis, un jour, elle reçoit une lettre. Ce texte constitue une tentative de réponse, des années plus tard, à celle que personne n’a su aider. Que personne n’a su entendre, surtout, quand elle appelait au secours...
n°11
décembre 2024 - l’odeur du sapin
Alexandre Galien
« Je m’apprête à réveillonner avec ma famille catholique conservatrice. Éloigné de ce milieu grâce à un père marginal, mort il y a quelques années, et un parcours jugé erratique, je ne suis admis à leur table qu’une nuit par an. Une nuit étouffée, face aux mauvaises consciences que l’on purge au champagne et aux secrets lardés entre deux tranches de foie gras. Seulement, cette fois-ci, le secret est accablant et entache la mémoire de mon père...
Et si j’arrêtais de me taire ?
n°10
Salomé
Berlemont-Gilles
novembre 2024 - Tu connaîtras la peur
Jeune étudiante fraîchement débarquée à Paris, la narratrice tombe peu à peu sous l’emprise d’un de ses professeurs, qui arrache à l’innocence de ses proies de quoi nourrir un ego malade. Elle fait face à des institutions complices qui préfèrent protéger les agresseurs et museler les victimes. Quitte à inverser la logique du droit. Metoo arrive.
La jeune femme est devenue écrivaine. Désormais, elle peut armer sa défense de mots et sait comment matérialiser l’indicible, pointer le mal sous la banalité apparente des êtres. Aidée par d’autres femmes, elle bâtit une contre-enquête qui fait changer la peur de camp. Cette lettre est un combat pour la vérité. Pour que résonnent d’autres « J’accuse ! »
n°09
Julia Malye
Peut-on lire l’éternité dans l’œil des chiens ? Il suffit de parcourir les pages que Françoise Sagan et Romain Gary leur ont consacrées : nos animaux de compagnie peuvent être les repères vivants de notre histoire ; grâce à eux, nous nous forgeons une place dans la société. Dans un récit qui court de la fin de l’enfance au début de la vie adulte, la narratrice déploie les identités successives qui ont été les siennes. Sur le poil luisant des cockers de sa famille, la patine du temps se dépose et avec elle les deuils, les déracinements, les retrouvailles et les premiers accomplissements. Entre chienne et louve, elle se voit devenir la femme qu’elle devait être.
octobre 2024 - Entre chienne et louve
n°08
Maylis Besserie
septembre 2024 - Les mots sont patients
La narratrice (ou le narrateur) qui participe à des ateliers d’écriture en milieu psychiatrique pourrait tout aussi bien être un auteur qu’un patient. Quelle importance puisque la distinction est si peu pertinente. L’essentiel est ce qui se trame autour de l’écriture : vaste espace de jeu, de soulagement des symptômes, où le délire est le bienvenu. Maylis Besserie raconte ici un lieu intermédiaire entre l’hospitalisation et la resocialisation, créé par des patients, où il fait bon écrire. Où la folie constitue, pour une fois, un avantage, un moteur à la création.
n°07
Laura Poggioli
août 2024 - Entre les bruits du monde
En décembre 2012, alors que Paris va connaître une vague de froid sans précédent, Gayané atterrit à Roissy avec son bébé dans les bras et ses plus proches parents. La jeune femme vient des montagnes du Haut-Karabakh, qu’elle a dû quitter sans espoir de pouvoir y retourner un jour. Brillante et polyglotte, d’une énergie intarissable, elle franchit toutes les étapes qui lui permettront d’être naturalisée moins de dix ans plus tard. Un récit dont on ne peut manquer de saisir la profonde résonance avec les débats actuels sur l’immigration. L’exil est une « opération sans anesthésie » qui touche à l’intime autant qu’au politique.
n°06
Frédéric Perrot
juillet 2024 - Le dernier twist
Maurice a quatre-vingt-cinq ans, il est veuf. Il lui reste trois ans à vivre quand il rencontre cette mystérieuse Russe de trente ans sa cadette. Leur relation ambivalente bouleverse la famille : des bleus au corps et de gros chèques entraînent main courante et filatures. S’est-il rendu compte de sa part d’ombre ? A-t-il cru en son amour ? L’histoire de ce vieil homme, qui prend tous les risques pour arracher quelques fragments d’intensité à l’existence, questionne notre propre rapport à la vieillesse et à la mort...
n°05
Victor Dumiot
juin 2024 - La nuit Cayenne
J’ai quinze ans, et vis depuis quelques mois en Guyane. Un soir, Nicolas, Lara et moi décidons de nous rendre dans une soirée clandestine. L’idée est irraisonnable, parfaitement irresponsable, mais l’adolescent n’obéit qu’à une seule chose : l’exigence de la vie qui lui bat dans le corps. On aurait pu y laisser notre peau – ou pire. On a surtout grandi en affrontant et traversant la nuit Cayenne. Une chose est sûre : si vous racontez ce que vous avez vu en Guyane, personne ne vous croira.
Avec ce récit viscéral et poétique, Victor Dumiot nous plonge dans une nuit hallucinée à Cayenne. Il dresse surtout un portrait très personnel de ce territoire complexe et envoûtant, marqué parson héritage colonial, ses inégalités et sa violence.
n°04
Arthur Dreyfus
mai 2024 - Ego Hugo
Quand Arthur Dreyfus part quelques jours à Guernesey, à l’occasion du colloque de la Société des amis de Victor Hugo, il a en tête cette image du grand écrivain s’exilant seul face à l’écume sans fin. En vérité, le poète avait débarqué sur l’île avec ses enfants, sa femme – et sa maîtresse Juliette. Et l’idéal romantique de se convertir en pathétique comédie bourgeoise – ou bien en sublime histoire d’amour, selon l’angle retenu. Arthur explore l’un et l'autre, dans une promenade entre l’enquête et la psychanalyse, comme si l’auteur des Misérables avait rencontré sur cette terre perdue entre la France et l’Angleterre, son destin profond. Fidèle à l’autofiction de son Journal sexuel, il tourne sa visite en miroir...
Égoïsme, désir, orgueil ; les vices du génie Hugo interrogent des questions contemporaines : l’emprise, la figure de l’artiste - la figure de l’homme...
EXTRAIT
À cet instant de ma méditation, comme un signe qu’il est temps d’arrêter de divaguer, ou que la transmission de pensée existe, une main me tapote l’épaule. Ce n’est pas celle d’un spectre, c’est celle de Gérard Pouchain qui, depuis quatre-vingts années, ou presque, passe l’essentiel de ses journées à étudier la vie et l’œuvre du poète : « Regardez, me souffle l’agrégé d’histoire en pointant la vitre du ferry, cette brume qui tombe d’un coup, comme ça, c’est très hugolien. » Je lève la tête : nous voici désormais en pleine mer et, en effet, le visage du ciel a changé. L’à-plat bleu a laissé place à cette masse dense et grise d’où semblent sourdre des idées sur les encres de Hugo. Antoine, un jeune photographe parti avec nous pour la même expédition (c’est plus romanesque que « colloque»), bredouille : « J’ai l’impression qu’on part au bout du monde...» Stop. Par un drôle de hasard, un terrible hasard, nous sommes sur l’eau au moment où la planète entière attend fébrilement un signe du Titan, ce sous-marin de tourisme descendu explorer l’épave du Titanic, et qui a perdu tout contact avec la surface. Hugo en aurait fait un chapitre inouï, je pense. Il nous aurait fait vivre, pas à pas, l’agonie des cinq passagers à mesure que l’oxygène s’amenuisait, pour révéler en un quatrain conclusif que tout n’était que fantasme, que c’était notre esprit qui réclamait le supplice : Ils n’avaient eu le temps de compter les secondes Désintégrés d’emblée en entrant sous les flots. Je fis durer leur vie pour rappeler l’immonde sort que réserve Dieu à ceux qui défient l’eau ! Je suis nul en Hugo, mais j’ai préparé le voyage…
n°03
Abigail Assor
avril 2024 - Le premier cri
Sarah est psychologue pour policiers.
Tous les jours, au sein du SSPO, elle recueille les paroles tour à tour colériques, indignées, douloureuses, enfantines ou haineuses de ceux qui sont en première ligne des horreurs du monde. Car si des professionnels n’étaient pas là pour écouter ceux qui rencontrent la violence d’un pays autant qu’ils l’exercent, qui le ferait ? Abigail Assor raconte ici une année de la vie de Sarah dans le service. C’est une histoire faite de coups de feu, de fleurs, de crimes et de cris...
Extrait
On a entendu des cris. Des hurlements, on disait, et soudain, mais non, pas du tout, juste une porte qui claque. On a entendu des cris, je te dis, et pas seulement, aussi des coups, un coup de poing sur la table, et peut-être au visage. N’importe quoi. Un coup de poing au visage ? N’importe quoi. T’y étais, toi, dans ce bureau ? Non, mais j’étais pas loin, et j’ai entendu un coup de poing. Les murmures disaient ça, dans les couloirs du service, tout un concert de pépiements pendant des jours et des jours. Au bout d’un moment, l’agent d’accueil, pourtant absent ce mardi-là, a même parlé de verre brisé, de vêtements déchirés. La seule chose dont on était certains, c’était d’avoir vu Sarah quitter son bureau en larmes et en courant. Elle n’est pas revenue. On chuchotait aussi ça, dans les couloirs, qu’elle n’était pas revenue, et pourtant elle était en poste depuis, quoi, à peine un an ? Depuis, pas un jour de manqué, et plus de consultations quotidiennes que n’importe quelle autre psy du service. Elle mettait des fleurs dans son cabinet. À la machine à café, le lundi, les filles se moquaient d’elle qui débarquait avec sa queue de cheval blonde, son sac à dos, et son nouveau bouquet acheté chez le fleuriste d’en bas. Des tulipes, des dahlias, des tournesols, et Sarah leur racontait chaque semaine en se brûlant la langue avec son thé vert la même anecdote sur Freud. Lui aussi, il mettait des fleurs de saison dans son cabinet, et avec les filles, qui à force de l’entendre la connaissaient par cœur, elle répétait cette phrase de lui : « Les fleurs n’ont ni émotions ni conflits. » Peut-être le monde devrait-il parfois être un peu plus fleur. Alors les psychologues pour policiers ne quitteraient pas leurs locaux en pleurant, laissant derrière elles, car elles sont souvent femmes, les bouquets pourrissant de leur absence…
n°02
Mathieu Palain
mars 2024 - Au pays de la bouffe
« Les gens sont-ils assez pauvres ? Dit comme ça, c’est choquant », admet Mathieu Palain dans ce texte.
Pourtant, faute de moyens suffisants pour accueillir le nombre grandissant de personnes demandeuses, les Restos du coeur ont été contraints de revoir les conditions d’accès à leur aide alimentaire. Désormais, ils sélectionnent les bénéficiaires pour réserver les produits à ceux qui en ont le plus besoin. « D’où viennent ceux qui ont faim au pays de la bouffe ? » s’est demandé Mathieu Palain. Il est allé voir. Dans deux centres d’accueil, il a croisé deux destins qui ne se croisent pas.
EXTRAIT
Je descendais au troisième sous-sol du parking de mon immeuble, de la musique dans les oreilles. Je ne me souviens plus de la chanson mais je l’écoutais à fond, car en m’installant au volant, puis en enclenchant la marche arrière, je n’ai pas entendu le type dans le coffre qui se réveillait, se redressait et murmurait : « Sorry, sorry. » Il a enjambé la banquette arrière et, très délicatement, il a posé une main sur mon épaule. J’ai hurlé. J’ai arraché mes écouteurs. J’ai croisé son regard dans le rétroviseur et j’ai pensé très vite au tranchant d’une lame qui m’ouvrirait la gorge. Je me suis jeté à l’extérieur. Le type est sorti à son tour. La minuterie s’est arrêtée. J’ai cherché frénétiquement l’interrupteur en me griffant le dos de la main contre le crépi du mur. Le type n’avait pas bougé. « Sorry mister, sorry. » J’ai vu son visage. Ses yeux. Son corps d’adolescent. Il n’avait pas 20 ans. « What are you doing here ?! » j’ai crié, et, dans ma voix, j’entendais tout ce stress qui n’arrivait pas à retomber…